Géographies, alibi d’ailleurs ? (1)

Jean-Louis Tissier est géographe. Il vit et travaille entre Paris et Surgy, aux frontières des départements de la Nièvre et de l’Yonne. Braconnier d’espaces et des signes entre eux, il cueille et pense les mots qui écrivent la terre, au sens littéral et figuré : « un géographe peut dessiner les éléments de son bassin-versant et s’identifier comme confluence » (1). Enseignant séminal à l’ENS Saint-Cloud à partir de 1972, il est professeur honoraire de Géographie à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne et contributeur régulier d’En attendant Nadeau (https://www.en-attendant-nadeau.fr/author/jean-louis-tissier/). Il nous invite, en cette semaine du Banquet du livre d’été 2024, à feuilleter les « espèces d’espace », issues d’ici ou d’ailleurs. 

Un billet « aller »

Ceci est le billet d’un géographe, d’âge, sinon d’expérience. La pratique savante ou ludique de la « géo » a toujours mis en tension un ici et un ailleurs. L’égo du géographe est, ou devrait être, un jeu entre l’ici et l’ailleurs. « Il suffit de passer le pont et c’est tout de suite l’aventure » chante l’aède à Sète – ou du moins une promesse de découverte, soit « The sunny side of the street »… 

La distance entre l’ici et l’ailleurs n’est pas uniquement affaire de kilomètres, de miles, ou de lis, un petit écart, un seul parfois nous dépayse. Dans son beau livre, Le Dépaysement, Jean-Christophe Bailly nous a invité à voir autrement l’Hexagone.

Depuis le Nivernais, mon ici estival, entre la Loire et l’Yonne je me souviens de cet ailleurs pyrénéen, les Corbières, entre le Bugarach et la Montagne d’Alaric. Je l’ai parcouru il y a cinquante ans. J’y avais été introduit, initié, moins par la recherche de l’Ailleurs que par la curiosité de l’avant-hier acheuléen, à Tautavel, par Henry de Lumley, et de l’ hier – néolithique – de l’ Abri Jean Cros par Jean Guilaine. Pour préparer les rendez-vous dans ces sites j’avais consulté la première publication de Jean Malaurie (2), disparu en février 2024, en centenaire. L’éditeur de la fameuse collection Terre humaine, lancée par de Tristes Tropiques célèbres en 1955 par Plon, est passé ici en 1946, pour en étudier le relief en géomorphologue, avant de choisir l’ailleurs du Grand Nord, celui de ses Derniers Rois de Thulé. Un ailleurs de glace, mais aussi l’ailleurs d’ Autres, les Inuits, qui allait devenir un ici pour Malaurie. 

« Sur les traces d’André Breton »

Julien Gracq, l’un de mes usuels littéraires, un Armoricain rétif aux ailleurs méditerranéens, a parcouru avec plaisir les Corbières. Il y a fait étape, moment où l’ici et l’ailleurs se fondent, s’amalgament. Il retient de ce parcours, sur les traces d’ André Breton vers le Montségur ariégeois « qui brule toujours », ces impressions : « Un changement à vue s’opère : en une minute, et sans transition aucune, on est passé de la chaleur molle, de l’alignement monotone des ceps de la plaine basse à l’escarpement nu du roc, à l’air coupant et aigu, retentissant, qui baigne les pics chauves patrouillés par le vol des aigles. Le voyageur a le sentiment d’être situé dans une zone d’alerte, de haute surveillance… » (Carnets du Grand chemin). 

Heureux qui comme Gracq a roulé en 2CV, ici dans les sixties… 

En juin 2018, je suis revenu à Lagrasse pour y rencontrer Pierre Michon et ses amis, réunis en association. Pierre m’avait demandé d’apporter des cartes. Nous les avons consultées et commentées à la terrasse du Bistrot littéraire d’alors, « Le nom de l’homme ». Cet échange sur les formes du terrain, les méandres de l’Orbieu, l’assiette du vignoble a transformé l’ailleurs en un ici…

Du doigt sur la carte au regard sur le paysage : l’explication de l’ici désenchante-t-il ce qui, peut-être, se cachait dans les plis des Corbières – un imaginaire tectonique ? 

-o-

 (1) Voir https://socgeo.com/2017/10/19/jean-louis-tissier-un-geographe-peut-dessiner-les-elements-de-son-bassin-versant-et-sidentifier-comme-confluence/
 (2) Jean Malaurie, « Le relief des Corbières orientales », Annales de Géographie, t. 59, n°316, 1950. p. 259-268 [en ligne : https://doi.org/10.3406/geo.1950.13041]



Le Banquet du livre pratique

LE COIN ENFANTS

Pour les 4-10 ans, tous les jours de 10 h à 13 h et de 17 h à 20 h dans la cour du palais abbatial. Gratuit sur inscription.

TARIFS & INSCRIPTIONS

  • Forfait intégral (non inclus : atelier d’écriture, banquet du Banquet) : 100 € (plein tarif), 80 € (tarif réduit), gratuit (tarif jeunes)
  • Concert d’ouverture – Rodolphe Burger (3 août) : 18 €, 15 €, 10 €
  • Forfait journée : 20 €, 16 €, gratuit
  • Séances à l’unité : 6 €, 4 €, gratuit
  • Le banquet du Banquet (repas-spectacle du 9 août) : 40 €
  • Atelier d’écriture : 15 €, 12 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Siestes sonores et promenade botanique : 7,5 €, 6 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Visites éclectiques de l’abbaye : 11 €, 9 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Qi Gong : 5 € (inscription obligatoire)
  • Atelier de philosophie, Figure libre, La criée, Grand petit déjeuner : gratuit, sans réservation dans la limite des places disponibles.

Tarif réduit pour les étudiant·e·s, les 18-25 ans, les PSH, les bénéficiaires des minimas sociaux, les adhérent·e·s du Marque-page.

Tarif jeunes pour les -18 ans

Pour plus de renseignements : le site du Centre culturel Les arts de lire.

SE RENDRE A LAGRASSE

  • Gares les plus proches : Lézignan-Corbières (18 km), Narbonne (40 lm), Carcassonne (40 km).
  • Aéroports : Carcassonne (40 km), Perpignan (70 km), Béziers (80 km), Toulouse (140 km), Montpellier (140 km).

SE LOGER A LAGRASSE

Renseignements à l’Office de tourisme : 04 68 27 57 57.

SE GARER A LAGRASSE

Parkings P1 et P2 obligatoires pour les visiteurs. Payants de 10 h à 18 h : 0,70 euros/heure, 4 euros/journée.