Les monumentales portes vertes du Centre d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) sont toujours ouvertes, sur la place de la Bouquerie, à Lagrasse. Les résidents comme Hawa, 15 ans, sur son 31 pour le mariage de voisins, y rentrent et y sortent comme ils le souhaitent. Les villageois aussi y sont les bienvenus. Il n’est d’ailleurs pas rare d’y croiser des touristes intrigués par le beau bâtiment. Le Cada est hébergé dans le Clos d’Orbieu, une bâtisse du XVIIIe siècle qui fut tour à tour demeure bourgeoise, le couvent des Sœurs de Nevers, le foyer municipal abritant bals, loto ou cinéma, gîte rural, puis au début des années 1980, un centre d’accueil.
Des boats people aux réfugiés de l’East Sea
En 1983, les boats people, ces Cambodgiens, Laotiens et Vietnamiens fuyant la dictature Khmer, sont les premiers à y être accueillis. « Des contingents de 300 à 400 personnes arrivaient tous les trois mois à Port-Leucate. A Lagrasse, le gîte était vide donc on a eu l’idée d’y transférer une cinquantaine de personnes », se souvient René Ortega, maire de Lagrasse.
Pour cet ancien responsable de l’action sociale à la Fédération Audoise des Œuvres Laïques (Faol) qui gère les centres d’accueil du département, cette époque reste un modèle de réussite en termes de politique d’intégration. « Il n’y avait aucune difficulté pour avoir les papiers à cette époque-là (…) Entre 1976 et 1990, la France a accueilli des centaines de milliers de réfugiés du sud-est asiatique et ils se sont dilués sans problème dans le peuple français ».
Une fois les réfugiés du sud-est asiatique repartis en 1990, le centre redevient un lieu de villégiature pour vacanciers européens. Mais en 1999, alors qu’éclate la guerre du Kosovo, la solidarité reprend le dessus. Dans la nuit du 17 au 18 mai, cinquante-trois Kosovars arrivent dans le village. « En descendant du car sur la Promenade, au milieu de la nuit, les réfugiés kosovars ne savaient pas où ils étaient. Ils pensaient tous arriver dans un nouveau camp, et qu’ils allaient devoir s’installer pour quelques mois sous une tente. Quand ils ont vu le bâtiment du Clos d’Orbieu, (…) , un jeune garçon a lâché son baluchon par terre, s’est agenouillé et s’est mis à prier », témoignait à l’époque dans Corbières Matin, Jean-Michel Mariou, écrivain et journaliste, co-fondateur du Marque-Page et des Banquets du livre.
Les « Kosovars », comme on disait dans le village, sont restés un an à Lagrasse. « Notre travail avait permis à tous les réfugiés venus du Kosovo de trouver du travail, un logement et d’être insérés », poursuit M. Ortega. En 2001, le foyer accueille cette fois des Kurdes syriens et irakiens arrivés en France à bord de l’East Sea. Le navire s’était échoué une nuit de février sur la plage de Boulouris, près de Saint-Raphaël. Dans ses cales rouillées, 910 personnes avaient été découvertes, dont 180 femmes et 480 enfants.
Accueillir des réfugiés de toutes origines
Avec l’accueil des Kurdes, le centre obtient le statut officiel de Centre d’accueil pour demandeurs d’asile « pour accueillir des réfugiés de toutes origines ». « Depuis, on a reçu des Afghans, des Tchétchènes, des Syriens, des Irakiens… Des gens qui viennent de pays déchirés par la guerre », précise M. Ortega. En août 2022, au début de mon travail photographique, les treize familles hébergées – soit une cinquantaine de personnes – venaient de Somalie, du Mali, de Côte d’Ivoire, de République démocratique du Congo, de Guinée, d’Iran, d’Albanie. Certaines sont reparties, aussitôt remplacées par d’autres venues d’Algérie, Turquie, Russie ou Colombie.
Fidèles à leur tradition d’accueil, des Lagrassiens ont monté en 2019 l’association SolidaLagrasse pour venir en aide aux familles qui sortent du Cada. Aide au logement, à l’intégration, à l’accès à l’emploi ou soutien administratif : la vingtaine de membres tente de répondre à la demande des plus précaires. « Il y a toujours eu cet esprit d’entraide dans le village. D’ailleurs, pendant l’Occupation déjà, deux Lagrassiens ont caché des juifs », rappelle Annette Snoeck, secrétaire de l’association. Agnès et Lucien Bertrand ont été reconnus Justes parmi les Nations. La plaque commémorative est sur la place de la Bouquerie. Juste en face du Cada.
Texte et photo Sarah Leduc
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