Comment aborder un séminaire d’Ivan Segré sur la traduction grecque du Talmud quand on ne connaît ni la langue ni la tradition hébraïque ? Muriel Royis s’est décidée à faire le grand saut. Témoignage de cette fidèle du Banquet sur deux journées d’étude et de questionnements.
Le questionnement, l’étonnement et la pensée en mouvement : ce sont les trois mots clés choisis par Muriel Royis pour définir le Banquet du livre tel qu’elle le vit depuis une vingtaine d’années de manière assidue. Et c’est précieux, dit-elle, « dans une époque où nous sommes confrontés à des discours politiques extrêmement verticaux et figés ». C’est pourquoi elle salue le Banquet comme le lieu où « on disjoint, on relie et où on n’exclut pas ». Tout le contraire « du discours de l’exclusion de l’autre, de l’étranger ».
Cette année, Muriel Royis a renoué avec le séminaire de pré-Banquet auquel elle avait renoncé l’année dernière parce que « je ne connais ni la Torah, ni le Talmud » et que « je n’ai aucune culture des textes de la tradition hébraïque ». Pourquoi ce revirement ? « Je pensais une nouvelle fois que je n’allais rien comprendre. Alors je me suis dit : et si je prenais les choses autrement ? Je suis donc venue au séminaire en me disant que j’allais prendre les textes comme une matière étrangère, ce qui va m’obliger à me déplacer ».
Cette fidèle du Banquet a donc fait « le choix de l’inconfort ». Ce qu’elle retire de cette expérience ? « J’ai traversé le séminaire avec beaucoup de plaisir parce que d’entrée, Ivan Segré a expliqué que le Talmud était construit sur le principe du dialogue et des contradictions ». Très exactement ce qu’à ses yeux « on n’accepte plus aujourd’hui », à savoir « le débat de la contradiction et de la différence ».
La leçon de Ptolémée
Ce qu’a apprécié Muriel Royis est d’avoir été mise en présence de textes « toujours questionnés ». Et cette découverte « qu’en principe, les textes sacrés ne sont pas traduits, ce qui oblige celui qui veut les étudier à apprendre l’hébreu et à se glisser dans la langue originelle ». Selon Muriel Royis, cela « renvoie à la question de la traduction comme décentrement ». Un écart entre « l’ici et l’ailleurs ».
La traduction, a-t-elle noté, est inséparable de « la question du sacré ». « Comment un texte peut-il être traduit sans perdre sa dimension sacrée ? C’est la première énigme…» qui a conduit les participants au séminaire jusqu’à la dernière séance du vendredi « où nous avons compris pourquoi le grec a été accepté comme langue de traduction des textes sans perte de sacré ».
Pour l’expliquer, « Ivan Segré nous a raconté l’histoire du roi Ptolémée qui avait convié soixante-douze sages grecs en leur intimant l’ordre de traduire individuellement le texte de la Torah ». « L’histoire, je la trouve magique », poursuit Muriel Royis. « Les sages se sont pliés à la commande mais ils ont introduit quatorze modifications dans le texte afin que le roi ne puisse se l’approprier pour en faire SA loi de gouvernement ».
La dimension politique d’un tel récit n’échappe à personne. Pour Muriel Royis, « c’est une grande leçon : la traduction des sages avait conservé, par sa beauté, l’esprit du texte et en même temps, les modifications qu’ils avaient introduites empêchaient toute forme d’appropriation ».
« J’ai vécu ce séminaire comme un mouvement permanent à l’intérieur de textes sans cesse réinterrogés », conclut une Muriel Royis visiblement conquise par la méthode d’enseignement d’Ivan Segré.
S.B.
Muriel Royis a reçu une formation philosophique et économique. Elle est psycho-sociologue clinicienne du travail.