Editer l’ailleurs (2/4) – Laure Leroy a résolument orienté sa maison d’édition, Zulma, vers les littératures du monde entier. Elle publie également des essais. Regard sur la manière dont cette éditrice aborde la question de l’ailleurs dans son travail éditorial.
Qu’est-ce qui a motivé votre choix de publier les littératures du monde ?
Chaque écrivain écrit dans une langue et dès lors que l’on s’empare de cette langue, on s’empare aussi d’une culture, d’une histoire, d’une poésie… J’avais envie de trouver des voix qui me raconteraient des histoires avec d’autres formes de récits que ceux pratiqués dans la culture occidentale, d’autres métaphores, d’autres explorations des sentiments humains. Nous avons l’humanité en partage et je trouve importante la curiosité de l’autre qui peut nous apporter tellement. Un écrivain soudanais, indonésiens, indien du Kerala, se nourrissent de cultures qui leurs sont propres et dont nous ignorons tout. Et de fait, leur vision du monde n’est pas la vision occidentale, européenne ou américaine. Nous sommes surchargés de culture occidentale comme si c’était le centre de l’univers et la seule manière de dire et voir le monde.
Penser et regarder ailleurs est le thème du Banquet. Que vous inspire cette proposition ?
J’ai envie d’ajouter : écouter et recevoir l’ailleurs parce qu’il ne s’agit pas juste de le regarder. En l’écoutant, nous devenons nous-mêmes un ailleurs. On ne peut pas imposer juste un seul regard, il faut aussi accepter de s’en laisser imposer un autre qui va nous emporter. C’est cela qui nous transforme, même si nous demeurons toujours à l’intérieur de nous-mêmes.
Comment construisez-vous votre catalogue ?
Nous travaillons dans deux domaines. D’abord celui des écrivains d’expression française. Au catalogue de Zulma, figurent un grand nombre d’écrivains qui ne sont pas franco-français. Ils représentent une expression de la culture et de la littérature françaises au sens de la langue qui peut être bouleversée par leur vécu et leur environnement. Le deuxième domaine est celui de la traduction. Dans ce cas, la meilleure source pour éditer des auteurs, ce sont les traducteurs avec qui nous entretenons d’étroites relations. Abdelaziz Baraka Sakin par exemple, un des grands écrivains soudanais de langue arabe, nous a été présenté par son traducteur Xavier Luffin.
L’essai de Shoshana Zukoff plébiscité lors de sa sortie par la presse américaine.
Vous publiez également des essais…
Pendant quinze ans, j’ai publié strictement de la fiction. La fiction, c’est un engagement et un regard forcément politique sur le monde. Mais j’ai ressenti à un moment donné la nécessité d’aller vers un engagement plus direct. Nous avons donc lancé la collection d’essais qui, pour le coup, accueille beaucoup d’auteurs anglo-saxons. Ils ont une manière très narrative de réfléchir. Nous avons par exemple publié L’âge du capitalisme de surveillance de Shoshana Zuboff, plébiscité dès sa sortie par la presse américaine. C’est un livre fondateur qui nous explique que nous ne sommes pas du tout dans le syndrome big brother mais dans cet autre chose qu’est la mutation radicale du capitalisme. Tous nos essais sont ce qu’on appelle des essais d’intervention. Ils ont la plupart du temps une dimension clairement politique.
Si vous deviez caractériser en un mot votre ligne éditoriale ?
De la fiction pour dire le monde.
Recueilli par Serge Bonnery
Toute l’actualité et le catalogue sur le site des éditions Zulma.