Retour sur les rives de la librairie Ombres blanches où Samuel Péricaud nous immerge dans une nouvelle sélection d’ouvrages « pour nous questionner sur l’autre ultime, celui que les ethnologues et voyageurs ont toujours recherché : le cannibale ».
Sur la table nommée « Des Cannibales » en référence à l’essai de Montaigne, trône la Chronique des indiens Guayaki (Pocket, rééd. 2021), un classique dans l’étude des pratiques anthropophagiques, publiée en 1972 par l’ethnologue Pierre Clastres. « Drôle et savoureux », ce journal suit, durant une année, une communauté de chasseurs-cueilleurs habitant les forêts tropicales de l’est paraguayen.
« Très vite, les Guayaki autour de Pierre Clastres ont compris qu’il cherchait à savoir s’ils étaient cannibales ». Les autochtones troquent alors des informations contre des breloques, et se jouent de l’ethnologue qui ignore complètement la langue de ses interlocuteurs. Et se faisant, « ils laissent planer le doute jusqu’au bout : sont-ils cannibales ou pas ? »
La négociation perpétuelle instaurée par les Guayaki défait ainsi l’idée préconçue de « l’anthropologue actif observant une population passive ». Plus encore, ce récit met en évidence les problèmes que pose les Guayaki à l’ethnologie française du XXe siècle.
Mais est-il vraiment nécessaire de se rendre à l’autre bout du monde pour rencontrer des cannibales ? Samuel Péricaud souligne que « nous savons aujourd’hui très bien que le cannibalisme est présent dans beaucoup de civilisations et à toutes les périodes, et pratiqué de manières très différentes ».
Deux livres sur le christianisme rappellent d’ailleurs que le rituel de l’eucharistie – procédant de la transsubstantiation chez les catholiques – « est une forme de cannibalisme occidental » au cours duquel les pratiquants consomment le corps et le sang du Christ. Quelques livres plus loin, Le village des « cannibales » d’Alain Corbin (Flammarion, 2016) examine lui « l’affaire de Hautefaye », le massacre en août 1870 du jeune notable Alain de Monéys par une foule de villageois suspectée… de cannibalisme.
De l’histoire à la littérature, du fait divers au fait social, les livres réunis par Ombres blanches sur la table « Des Cannibales » sont à consommer sans modération.
Maxime Lagarde