La « génération » fille des Lumières ou de la Révolution ? 

Traversée des « siècles », à défaut des générations, d’Ibn Khaldûn à D’Alembert : 

(XIVe siècle) x 2 = 28 – 10 = XVIIIe siècle.

Une espèce de « nombre nuptial » donc, à défaut d’être, déjà, social. Mathieu Potte-Bonneville nous a expliqué hier matin combien l’articulation des reproductions (naturelles) et celle des générations (culturelles) constitue la part aveugle des penseurs du temps cyclique, masculins et philosophes s’il en est. Oserait-on avancer que le rapport au cycle pourrait avoir un lien de « genre », « par-delà » des entéléchies ontologiques (nature/culture), aussi restrictives que risibles ?

XVIIIe siècle, dites-vous alors ? Lumières, paraît-il. Gageons qu’elles nous éclairent. Le temps des jalons s’accélère et entre de plein pied avec les dessous de ce que « moderne » semblerait vouloir dire. 

Partons donc ce matin de l’inconscient encyclopédique de la définition des mots : d’abord selon la Géométrie, puis la Physique, avant la Théologie ; passage par l’Histoire (ancienne et moderne). Nous y reviendrons. Mais toujours pas vraiment ce qu’entendre « génération » veut dire pour notre contemporanéité – celles et ceux qui viennent « après » ? On dira peut-être bientôt la « jeunesse » ? En attendant, il y a quelque chose de mathématique, ou mieux, d’arithmétique, qui se joue dans la compréhension occidentale de la « génération », autour du chiffre de 30 années (voir Hérodote) : 

30 ans, voire 33 (hum hum…) x 3 = presque 100 ans.

Un siècle se composerait-il de la contemporanéité relative de trois générations ? 

De là, c’est à peu près certain, le sens commun contemporain de la génération trouve un point d’ancrage dans un bain chrétien terrifiant de permanence structurelle. Et sur ce chemin, Pierre Nora, il y a trente ans, nous invite à y songer sérieusement : la Révolution a partie liée à l’engendrement de la génération. 

Yann Potin

Extrait de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, tome 7, 1757, p. 558-574

Génération, s. f., en Géométrie, est la formation qu’on imagine d’une ligne, d’un plan, ou d’un solide, par le mouvement d’un point, d’une ligne, ou d’une surface. Voyez Ligne, Point, Surface

Par exemple, on peut imaginer qu’une sphère est formée par le mouvement d’un demi-cercle autour de son diamètre : on appelle pour lors ce diamètre, axe de révolution ou de rotation. De même on peut regarder un parallélogramme comme engendré par le mouvement d’une ligne droite qui se meut toujours parallèlement à elle-même, et dont tous les points se meuvent en ligne droite : dans ce dernier cas, la ligne suivant laquelle le mouvement se fait, s’appelle quelquefois la directrice. Voyez Directrice et Engendrer.
(O=Jean Le Rond, dit d’Alembert) 

Génération, en Physique, c’est en général l’action de produire ce qui n’existait point auparavant ; ou, pour parler plus exactement, c’est le changement d’un corps en un autre, qui ne conserve aucun reste de son état précédent. Car, à proprement parler, la génération ne suppose point une production de nouvelles parties, mais seulement une nouvelle modification de ces parties : c’est en cela que la génération diffère de ce que nous appelons création. Voyez Création.

Génération diffère d’altération, en ce que dans celle-ci le sujet paraît toujours le même ; les accidents seuls et les affections sont changés ; comme quand un animal en santé tombe malade, ou quand un corps qui était rond devient quarré.

Enfin, génération est opposée à corruption, qui est la destruction d’une chose qui existait ; comme lorsque ce qui était auparavant bois ou œuf, n’est plus ni l’un ni l’autre. Les anciens philosophes concluaient de-là que la génération d’une chose est proprement la corruption d’une autre. Voyez Corruption.

La génération des corps en général, est un mystère dont la nature s’est réservé le secret. Pour savoir comment les corps s’engendrent, il faudrait résoudre des questions qui sont fort au-dessus de notre portée. Il faudrait savoir 1°/ Si les parties d’un corps quelconque, d’une plante, par exemple, sont différentes des parties d’un autre corps, comme d’une pierre ; en sorte que les parties qui composent une plante, combinées comme on voudra, ne puissent jamais faire une pierre : ou si les parties de tous les corps, les premiers éléments qui les composent, sont les mêmes, te produisent par la seule diversité de leur arrangement, les différents corps que nous voyons. 2°/ Quand cette question serait décidée, le mystère de la génération n’en serait pas plus clair. Il faudrait ensuite savoir comment il arrive qu’un grain de blé, par exemple, étant mis en terre, ce grain de blé aide par l’action des sucs terrestres, attire et dispose d’une manière convenable pour former l’épi, ou les parties de blé qui sont dans le sein de la terre, ou les parties de terre, et d’autres substances, qui par une nouvelle modification deviennent des parties de blé. Que répondre à ces questions ? Se taire et admirer les ressources de la nature : sans doute on peut faire sur ce sujet des systèmes, des raisonnements à perte de vue, de grands discours ; mais que nous apprendront-ils ? Rien.
(O = Jean Le Rond, dit d’Alembert)

Génération, en Théologie, se dit de la procession ou de la manière dont le Fils de Dieu procède du Père éternel ; on l’appelle génération, au lieu que la procession du saint Esprit retient le nom de procession. Voyez Trinité.

On dit en ce sens, que le Père produit son Verbe et son Fils de toute éternité, par voie de génération ; expression fondée sur plusieurs textes précis de l’Écriture, et qui attache au mot génération une idée particulière ; elle signifie une progression réelle quant à l’entendement divin, qui produit un terme semblable à lui-même en nature ; parce qu’en vertu de cette progression, le verbe devient semblable à celui dont il tire son origine ; ou, comme saint Paul l’exprime, il est la figure ou l’image de sa substance, c’est à-dire de son être et de sa nature.

Les anciens pères grecs appelaient cette génération probèlen, en latin prolationem, terme qui pris à la lettre signifie l’émanation d’une chose de la substance d’une autre chose. Cette expression fut d’abord rejetée par l’abus qu’en faisaient les Valentiniens pour expliquer la prétendue génération de leurs cons. Voyez Éons

Aussi voit-on qu’Origène, saint Athanase, saint Cyrille, ne veulent pas qu’on se serve de ce mot pour expliquer la génération éternelle du Verbe : mais depuis on fit réflexion que ce terme pris en lui-même et en écartant les idées d’imperfection qu’emporte avec soi le mot génération applique aux hommes, n’avait rien de mauvais ; et l’on ne balança plus à s’en servir, comme il paraît par Tertullien, dans son ouvrage contre Praxée, chap. viii, par saint Irénée, liv. II  chap. xviii, et par saint Grégoire de Nazianze, orat. 35. 

Les scholastiques définissent la génération, l’origine d’un être vivant d’un autre être vivant par un principe conjoint en ressemblance de nature ; définition dont tous les termes sont inintelligibles : voici celle qu’en donne M. Wuitasse, un des auteurs les plus estimés sur cette matière.

On l’appelle, dit-il, origine, c’est-à-dire émanation, procession ; nom commun à toute production : 

  • D’un être vivant, parce qu’il n’y a que ce qui est vivant qui soit proprement engendré.
  • D’un autre être vivant ; parce qu’il n’y a point de génération proprement dite, si ce qui engendre n’est vivant : ainsi, ajoute cet auteur, on dit qu’Adam fut formé du limon, mais non pas engendré du limon. 
  • Par un principe conjoint ; ce qui signifie deux choses. 1°/ Que cet être vivant d’où procède un autre être vivant, doit être le principe actif de la production de celui-ci : par cette raison, Eve ne peut point être appelée proprement la fille d’Adam, parce qu’Adam ne concourut pas activement, mais seulement passivement, à la formation d’Eve : 2°/ Que cet être vivant qui produit un autre être vivant, doit lui être conjoint ou uni par quelque chose qui lui soit propre ; comme les pères, quand ils engendrent leurs enfants, leur communiquent quelque partie de leur substance.
  • En ressemblance de nature ; termes qui emportent encore deux idées ; 1°/ Que la génération exige une communion de nature au-moins spécifique ; 2°/ Que l’action qu’on nomme génération doit par elle-même tendre à cette ressemblance de nature ; car le propre de la génération est de produire quelque chose de semblable à celui qui engendre. 

De-là ils concluent que la procession du Verbe doit seule être appelée génération, et non procession ; et que la différence qui se trouve entre cette génération et la procession du Saint Esprit vient de ce que le Verbe procède du Père par l’entendement, qui est une faculté affirmative, c’est-à-dire qui produit un terme semblable à elle-même en nature ; au lieu que le Saint Esprit procède du Père et du Fils par la volonté, qui n’est pas une faculté assimilative ; ce que saint Augustin a exprimé ainsi, lib. IX, De trinit, c. cij, mens notitiam suam gignit cum se novit ; et amorem suum non gignit cum se amat. Cependant il faut convenir que les anciens pères n’ont pas poussé si loin que les théologiens leurs recherches sur ces matières mystérieuses ; et saint Augustin lui-même avoue qu’il ignore comment on doit distinguer la génération du fils de la procession du Saint Esprit, et que sa pénétration succombe sous cette difficulté : distinguere inter illam generationem et hanc processionem nescio, non valeo, non sufficio, lib. II,  Contra Maxim, c. xjv, n°1.

Génération, se dit encore, quoiqu’un peu improprement, pour signifier généalogie, ou la suite des enfants et des descendants qui sortent tous d’une même tige. Ainsi l’évangile de saint Mathieu commence par ces mots, liber generationis Jesu-Christi, que les traducteurs les plus exacts rendent par ceux-ci, le livre de la généalogie de Jesus-Christ. Voyez Généalogie.
(G = l’abbé Mallet). 

Génération, Histoire ancienne et moderneest synonyme à peuple, race, nation, surtout dans les traductions littérales de l’Écriture sainte, dans laquelle on rencontre presque partout le mot génération, où le latin porte generatio, et le grec génèa ou genesis : ainsi, « c’est une génération méchante et perverse qui demande des miracles, etc. ».

Une génération passe, et il en vient une autre.

Génération, se dit aussi de l’âge ou de la vie ordinaire d’un homme. Voyez Age

De là nous disons, jusqu’à la troisième et quatrième génération : en ce sens les historiens comptent ordinairement une génération pour l’espace de trente-trois ans ou environ. Voyez Siècle

Hérodote met trois générations pour cent ans ; et ce calcul, selon les auteurs modernes de l’arithmétique politique, paraît assez juste. Voyez Arithmétique politique et Chronologie 

Génération, (Physiologie.). On entend en général par ce terme, la faculté de se reproduire, qui est attachée aux êtres organisés, qui leur est affectée, et qui est par conséquent un des principaux caractères par lequel les animaux et les végétaux sont distingués des corps appelés minéraux. 

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Suit une quinzaine de pages, soit plus de 90 % de l’article de la dite Encyclopédie.

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Extrait de « La génération », Pierre Nora, Les lieux de mémoire, La Nation, Paris, Gallimard, 1992. 

Pas de notion devenue plus triviale et malgré tout plus opaque. Pas de notion plus antique, plongeant ses références biologiques dans la Bible, Hérodote et Plutarque ; et ne prenant pourtant son sens que dans notre récent univers de l’individualisme démocratique. Tout épidermique, à la surface des jeunes et des jours, à la mode : aucune ne plonge pourtant davantage au cœur sensible de notre perception historique du présent. 

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1968 a hypertrophié la dimension générationnelle, mais 1789 l’a minimisée. Elle est pourtant partout présente. Restif de La Bretonne le notait déjà sur-le-champ : « C’est l’Émile qui nous amène cette génération taquine, entêtée, insolente, impudente, décideuse, qui parle haut, fait taire les vieillards et montre avec une égale audace, tantôt sa folie native, fortifiée par l’éducation, tantôt sa sagesse immature, âcre et verte comme le verjus de la mi-août » [Les nuits de Paris, 1788-1794]. Elle apparaît déjà, dans les vingt ans qui ont précédé l’explosion révolutionnaire, avec les mouvements et manifestations de la jeunesse, récemment mis en lumière, à Paris comme en province. Elle éclate au serment du Jeu de paume, premier triomphe du principe de solidarité fraternelle sur le verdict des pères [d’après Mona Ozouf] ; et peut-être serait-elle restée plus évidente si ne l’avait très vite occultée l’idée de faction. Elle s’exprime clairement dans la réflexion et la pensée des révolutionnaires quand elle approfondit le lien entre la disparition du gouvernement héréditaire et la légitimité représentative, comme en témoigne par exemple un curieux opuscule de Thomas Paine sur Les Premiers Principes de gouvernement, du 5 messidor an III, dans lequel le publiciste anglo-américain se livre, dans le droit fil de la pensée jeffersonienne, à de savants calculs du remplacement des âges et à une définition précise de la notion pour établir les droits de chacune.

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Présente encore est la génération, solennellement, dans les textes fondateurs, puisque la Déclaration des droits de l’homme de 1793 – celle de Condorcet – va jusqu’à inscrire dans son article trentième et dernier : « Une génération n’a pas le droit d’asservir à ses lois une génération future ». 

Elle l’était déjà implicitement, dès la Constitution de 1791, puisqu’elle abolit d’un coup les droits héréditaires et les contraintes corporatives pour poser les bases d’une société d’individus libres et égaux. Elle l’était également dans les mesures concernant la famille et l’autorité paternelle, particulièrement dans celles qui font droit aux revendications des plus jeunes, comme l’abolition du droit d’aînesse, la fixation de la majorité à vingt et un ans, le mariage sans consentement paternel, l’impossibilité de déshériter un de ses enfants. Saint-Just, en représentant type de la génération montante, pouvait les résumer d’un trait : « Vous avez donc décidé qu’une génération ne pouvait pas en enchaîner une autre ». Mais intrinsèquement générationnelle, la Révolution l’est tout entière dans sa rhétorique et dans son ambition, élevée à la hauteur d’un rite de passage historique et initiatique, de la nuit du despotisme au grand jour de la liberté. 

Génération-Régénération » : les deux thèmes sont étroitement associés, dans toutes leurs connotations biologiques, psychologiques, morales, religieuses et messianiques. Mais elle l’est, bien plus profondément encore, dans l’obsession pédagogique et le retournement du temps, dans l’eschatologie de la rupture, dans le passage éclair de l’Ancien au Nouveau. Crépuscule de la légitimité, aube de la génération. Le passé n’est plus la loi : c’est l’essence même du phénomène. La Révolution marque donc l’avènement absolu de la notion, mais invisible. Sans doute a-t-on souligné la rapidité des carrières qu’ouvrait aux talents, comme celui de Bonaparte, l’aventure révolutionnaire et l’abolition des privilèges. Mais la juvénilité individuelle, comme celle de Saint-Just, a plutôt frappé les imaginations que le rajeunissement général de l’acteur historique. 

[…]



Le Banquet du livre pratique

LE COIN ENFANTS

Pour les 4-10 ans, tous les jours de 10 h à 13 h et de 17 h à 20 h dans la cour du palais abbatial. Gratuit sur inscription.

TARIFS & INSCRIPTIONS

  • Forfait intégral (non inclus : atelier d’écriture, banquet du Banquet) : 100 € (plein tarif), 80 € (tarif réduit), gratuit (tarif jeunes)
  • Concert d’ouverture – Rodolphe Burger (3 août) : 18 €, 15 €, 10 €
  • Forfait journée : 20 €, 16 €, gratuit
  • Séances à l’unité : 6 €, 4 €, gratuit
  • Le banquet du Banquet (repas-spectacle du 9 août) : 40 €
  • Atelier d’écriture : 15 €, 12 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Siestes sonores et promenade botanique : 7,5 €, 6 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Visites éclectiques de l’abbaye : 11 €, 9 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Qi Gong : 5 € (inscription obligatoire)
  • Atelier de philosophie, Figure libre, La criée, Grand petit déjeuner : gratuit, sans réservation dans la limite des places disponibles.

Tarif réduit pour les étudiant·e·s, les 18-25 ans, les PSH, les bénéficiaires des minimas sociaux, les adhérent·e·s du Marque-page.

Tarif jeunes pour les -18 ans

Pour plus de renseignements : le site du Centre culturel Les arts de lire.

SE RENDRE A LAGRASSE

  • Gares les plus proches : Lézignan-Corbières (18 km), Narbonne (40 lm), Carcassonne (40 km).
  • Aéroports : Carcassonne (40 km), Perpignan (70 km), Béziers (80 km), Toulouse (140 km), Montpellier (140 km).

SE LOGER A LAGRASSE

Renseignements à l’Office de tourisme : 04 68 27 57 57.

SE GARER A LAGRASSE

Parkings P1 et P2 obligatoires pour les visiteurs. Payants de 10 h à 18 h : 0,70 euros/heure, 4 euros/journée.