La langue des signes : « une langue à part entière porteuse de culture »

Brigitte Baumié est poète. Elle dirige l’association Arts Résonances qu’elle a créée avec un groupe d’amis il y a près de trente ans à Montpellier. Depuis 2008, elle se consacre à l’accompagnement des sourds dans la pratique et la création poétique en langue des signes ainsi qu’à la rencontre entre culture Sourde et culture Entendante. Sa poésie personnelle est publiée aux éditions Bruno Doucey, Color Gang, La Boucherie Littéraire. Elle travaille depuis près d’un an en partenariat avec le Centre culturel de rencontre Les Arts de Lire de l’abbaye médiévale de Lagrasse.

Fondatrice de l’association Arts Résonances, Brigitte Baumié se bat pour que les personnes sourdes accèdent au livre et à la littérature.

En 1993, vous avez créé Arts Résonances, une association dont le but était à l’origine de se consacrer, au sein des arts vivants, à la poésie contemporaine et à ses rencontres avec d’autres arts. Puis en 2008, vous décidez de vous consacrer à la langue des Sourds et à l’accès des Sourds à la littérature. Pourquoi ce choix ?
C’est une histoire très personnelle. J’ai créé cette association à une époque où j’étais musicienne et il se trouve que j’ai perdu l’audition quelques années après. C’est alors que j’ai rencontré des personnes sourdes, découvert la langue des signes et la culture Sourde. J’écris depuis très longtemps mais quand je suis devenu sourde, l’écriture a pris plus de place dans ma vie. J’ai écrit beaucoup plus qu’avant et commencé à publier des livres. Je me suis alors rendu compte des difficultés que rencontrent les personnes sourdes dans leur accès au livre et à la littérature. Et j’ai aussi découvert qu’il existe une création littéraire originale en langue des signes : contes, poésie, théâtre etc. J’ai alors eu très envie d’aider les personnes sourdes à accéder au livre et à la littérature écrite et aussi de faire connaître la création en langue des signes. Nous avons donc commencé à travailler sur des traductions, principalement dans le domaine de la poésie contemporaine que je connais puisque c’est mon propre champ de création. Nous sommes intervenus à la BPI du Centre Pompidou pour traduire cette année des extraits de romans de François Bégaudeau et, l’an passé, des passages de « La semaine perpétuelle » de Laura Vazquez. Nous travaillons également, depuis l’origine du projet avec le service d’interprétation Des’L, à Montpellier pour des traductions poétiques de et vers la langue des signes. Et nous avons aussi noué un partenariat avec le laboratoire de recherche en linguistique Structures Formelles du Langage, qui travaille, entre autres, sur la langue des signes (CNRS-Paris VIII) et qui nous a permis de creuser la question de la traduction poétique… Enfin, Arts Résonances soutient la publication d’ouvrages chez des éditeurs intéressés… (cf bibliographie)

« Très peu d’aides à la compréhension »

Quelles difficultés rencontrent les Sourds pour accéder à la littérature et la culture dite « entendante » ?
Il faut dire les choses : dans le monde de l’éducation, du fait de choix pédagogiques, les personnes sourdes pâtissent d’un gros déficit d’apprentissage du français écrit. Les enfants sourds, en effet, apprennent prioritairement le français oral avec cette idée dont je me demande comment elle peut mûrir dans la tête de personnes a priori sensées, que lorsqu’ils sauront « oraliser », ils connaîtront la langue et ils pourront lire. Ce n’est évidemment pas ce qui se passe dans la réalité.

Est-ce un constat général ?
Il existe des méthodes pour apprendre le français écrit aux personnes sourdes en considérant le français et la langue des signes comme deux langues étrangères. Ça marche très bien mais ça n’existe que dans de très rares écoles en France. Il reste que très majoritairement, les jeunes sourds sont intégrés dans des écoles entre guillemets « normales » avec des enseignants qui ne sont pas du tout formés. Ces jeunes bénéficient de très peu d’aides à la compréhension. De ce fait, ils vivent leur scolarité en marge du modèle scolaire.

Existe-t-il des solutions ?
La situation est complexe. Il existe aujourd’hui des appareillages très performants qui peuvent aider. Depuis une vingtaine d’années, est pratiquée la pose d’implants sur le nerf auditif. Cette opération fait parfois des miracles mais elle provoque parfois, aussi, des catastrophes. Quoi qu’il en soit, la réalité est qu’un trop grand nombre d’enfants ne disposent pas de l’usage de la langue. Ils communiquent certes dans le quotidien en mélangeant un peu de langue des signes et de français oral. Mais ils ne maîtrisent aucune langue. Ils sont incapables de comprendre un texte. Ils sont dans l’immédiateté du quotidien, pas plus. Ce qui, pour eux, est dramatique.

Que pouvez-vous, à votre niveau ?
Nous essayons d’apporter un petit quelque chose à travers des ateliers, des rencontres avec des adultes sourds car cela existe très peu. Il n’est pas rare que des enfants sourds n’aient jamais rencontré d’adultes sourds. Les enfants sourd-e-s disent parfois : « Quand je serai grand-e, je serai mort-e car je suis sourd-e… » Ils n’ont jamais croisé un adulte sourd de leur vie ! Pour eux, donc, ça n’existait pas. Un sourd ne pouvait pas devenir adulte. Pour remédier au problème, il faudrait une véritable politique de réflexion sur l’apprentissage des langues pour les jeunes sourds. Malheureusement…

« Une langue à part entière porteuse de culture »

Qu’en est-il de la culture Sourde proprement dite ?
Les sourds y sont très attachés. Ils parlent de culture Sourde avec une majuscule à Sourde. La langue des signes est une langue à part entière et comme toutes les langues, elle est porteuse d’une culture qui s’exprime par des jeux de signes – comme on dirait des jeux de mots -, des histoires drôles, des plaisanteries, du quotidien mais pas que… cette langue s’exprime aussi dans la création théâtrale, poétique etc. Il existe des festivals et des lieux culturels parmi lesquels l’un des plus importants en France est le théâtre IVT à Paris. C’est un lieu de création qui reçoit aussi des spectacles, organise des formations… La culture Sourde touche à tous les arts, pas seulement le théâtre et la littérature mais aussi les arts plastiques et la musique. Les sourds sont pour certains très sensibles à la musique. Il y a des musiciens professionnels sourds. Et il existe une pratique très développée dans la culture Sourde : le chansigne qui consiste à chanter avec les mains en exprimant les paroles en langue des signes. Il y en a eu un bel exemple pendant la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques avec le chansigneur sourd américain Shaheem Sanchez.

Vous êtes poète. Quelle différence faites-vous, s’il y en a une, entre poésie écrite et poésie en langue des signes ?
Il y a une différence pour la transmission. Les poèmes que j’écris, ils sont publiés dans des livres, qui veut peut s’en emparer, les lire à voix haute etc. En langue des signes, ça ne se passe pas du tout comme ça. La création est attachée à la personne qui crée. La transmission se fait soit en direct, soit par vidéo, mais il y a peu de reprises. Il est rare qu’une autre personne se permette de reprendre un poème qu’elle n’a pas elle-même créé. Des poètes vont jusqu’à considérer que quelqu’un qui reprend un de leurs poèmes le leur vole. Et il faut aussi dire autre chose. Les sourds font une distinction majeure entre langage et langue. Ils sont très à cheval sur ce point : pour eux, l’usage des signes est une langue, ce n’est pas un langage. La langue des signes est leur langue naturelle, comme nous tous, c’est ce dont ils ont besoin.

recueilli par Serge Bonnery

A Lagrasse, une rencontre et des projets

C’est l’histoire d’une rencontre. Il y a un peu moins d’un an, à la demande de l’association des sourds de l’Aude qui souhaitaient qu’une visite en langue des signes soit organisée à l’abbaye de Lagrasse, Brigitte Baumié et son association Arts Résonances basée à Montpellier ont fait la rencontre du Centre culturel les Arts de lire de l’abbaye médiévale et de son directeur Jean-Sébastien Steil.

L’histoire de l’abbaye de Lagrasse en langue des signes.

« J’ai proposé à Jean Sébastien une visite de l’abbaye en langue des signes ainsi que des créations poétiques d’artistes sourds. Ce moment a été incroyable car – et tous les Sourds qui ont eu l’occasion de rencontrer l’ont reconnu – c’est rare de rencontrer quelqu’un qui comprend tout de suite la problématique de la culture Sourde et de la langue des signes… »

L’expérience ne s’est pas arrêtée là. Le directeur du Centre culturel ne souhaitait en effet pas s’en tenir à une « simple » traduction en langue des signes de la visite guidée de l’abbaye. « Il voulait qu’une personne sourde soit formée à cette visite ». Ce nouveau projet a donné lieu en décembre dernier à une résidence au cours de laquelle une guide sourde professionnelle résidant à Montpellier a été formée. La visite qui a conclu la résidence, en présence d’un public d’une trentaine de personnes sourdes, s’est soldée par un succès.

Le même jour, fut également organisée une rencontre avec Aline Costella, la responsable de la librairie des Arts de lire. « Il faut savoir que les personnes sourdes éprouvent souvent des difficultés d’accès au français écrit et au livre, d’où l’intérêt de cette rencontre au cours de laquelle les Sourds ont pu s’exprimer sur leur rapport au livre. Ce fut d’une grande richesse ».

Nouveau prolongement au printemps dernier : le Centre culturel a accueilli quatre poètes et poétesses sourds pour un travail de création sur l’abbaye et le village de Lagrasse. La résidence s’est terminée par une restitution des poèmes dans le monument lui-même.

Et demain ? Un projet ambitieux est à l’étude dans le cadre du Banquet du livre d’été 2025. Il s’agirait de mettre en avant la création artistique, littéraire, poétique et la culture Sourde en général tout en abordant les problématiques des Sourds dans leur rapport à la langue et à la culture. 2025, c’est déjà demain…

Rouge, de Levent Beskardès : un poème en langue des signes, extrait du numéro de la revue GPS consacré aux poésies sourdes.

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Repères bibliographiques

Les mains fertiles, cinquante poètes en langue des signes. Anthologie établie et présentée par Brigitte Baumié. Editions Bruno Doucey. Livre multilingue avec toutes les versions en LSF des poèmes sur un DVD.

Le numéro 11 de la revue GPS entièrement consacré aux poésies sourdes. Textes rassemblés par Brigitte Baumié. Aux éditions Plaine Page. QR codes et liens vers les poèmes en LSF.

L’anthologie de poésie en langue des signes, établie par Brigitte Baumié pour les éditions Bruno Doucey

Levent Beskardès, Signe moi que tu m’aimes, préface et traduction de Brigitte Baumié, éditions Bruno Doucey. Livre bilingue LSF/français accès aux vidéos par liens et QR codes.

Brigitte Baumié, S’asseoir sur les rails, éditions Bruno Doucey. Livre bilingue LSF/français accès aux vidéos par liens et QR codes.



Le Banquet du livre pratique

LE COIN ENFANTS

Pour les 4-10 ans, tous les jours de 10 h à 13 h et de 17 h à 20 h dans la cour du palais abbatial. Gratuit sur inscription.

TARIFS & INSCRIPTIONS

  • Forfait intégral (non inclus : atelier d’écriture, banquet du Banquet) : 100 € (plein tarif), 80 € (tarif réduit), gratuit (tarif jeunes)
  • Concert d’ouverture – Rodolphe Burger (3 août) : 18 €, 15 €, 10 €
  • Forfait journée : 20 €, 16 €, gratuit
  • Séances à l’unité : 6 €, 4 €, gratuit
  • Le banquet du Banquet (repas-spectacle du 9 août) : 40 €
  • Atelier d’écriture : 15 €, 12 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Siestes sonores et promenade botanique : 7,5 €, 6 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Visites éclectiques de l’abbaye : 11 €, 9 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Qi Gong : 5 € (inscription obligatoire)
  • Atelier de philosophie, Figure libre, La criée, Grand petit déjeuner : gratuit, sans réservation dans la limite des places disponibles.

Tarif réduit pour les étudiant·e·s, les 18-25 ans, les PSH, les bénéficiaires des minimas sociaux, les adhérent·e·s du Marque-page.

Tarif jeunes pour les -18 ans

Pour plus de renseignements : le site du Centre culturel Les arts de lire.

SE RENDRE A LAGRASSE

  • Gares les plus proches : Lézignan-Corbières (18 km), Narbonne (40 lm), Carcassonne (40 km).
  • Aéroports : Carcassonne (40 km), Perpignan (70 km), Béziers (80 km), Toulouse (140 km), Montpellier (140 km).

SE LOGER A LAGRASSE

Renseignements à l’Office de tourisme : 04 68 27 57 57.

SE GARER A LAGRASSE

Parkings P1 et P2 obligatoires pour les visiteurs. Payants de 10 h à 18 h : 0,70 euros/heure, 4 euros/journée.