Jalons pour l’histoire d’une catégorie fuyante

En six étapes, le feuilleton Les générations de « la » génération, vade-mecum du Banquet du livre 2023, est pensé comme une navigation dans les eaux troubles d’une catégorie d’autant plus labile qu’elle se pare de naturalité, au travers des langues latines et romanes en particulier. Entre théologie, philosophie (de l’histoire), histoire et sociologie, le menu compose un des nombreux parcours possibles parmi les affres de la génération, ou plutôt de ses usages savants et politiques. 

Synonyme de « reproduction », le terme peine longtemps, très longtemps, à devenir le qualificatif idéal-type d’une « classe d’âge » sociale, après n’avoir été qu’une manière de compter les stades, soi-disant lointains, des mémoires familiales. De sa matrice mystique et « biblique », ainsi qu’Ivan Segré a pu le démontrer au cours du séminaire d’amont du Banquet, le mot de « génération » conserve une connotation mystique et pour tout dire cyclique. Tentation est grande alors, avec Platon, dans le livre VIII de la République, d’y chercher une clef de lecture et d’analyse, pour domestiquer la perspective des temps futurs du gouvernement des hommes et des femmes. Au risque de faire du temps qui passe et de la succession des vivants et des morts le ferment d’une philosophie de l’histoire.

La « génération » semble donc d’abord prétendre découper les rythmes de l’histoire tout en structurant les apparences des strates de la mémoire. 

A la croisée de savoirs « antiques », et donc forcément un peu « grecs », Ibn Khaldûn (1336-1402), précipite l’étalon « génération » dans une prétendue capacité à prévoir l’avenir et à réguler les espaces sociaux et politiques des empires. Nous voici donc embarqués dans le flux d’un temps à la fois fatal et déjà pourtant terrestre, et bien sûr, humain. 

Yann Potin

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La génération ou la philosophie (des cycles) de l’histoire

A la croisée de savoirs « antiques », et donc forcément un peu « grecs », Ibn Khaldûn (1336-1402), précipite l’étalon « génération » dans une prétendue capacité à prévoir l’avenir et à réguler les espaces sociaux et politiques des empires. Nous voici donc embarqués dans le flux d’un temps à la fois fatal et déjà pourtant terrestre, et bien sûr, humain. 

L’œuvre d’Ibn Khaldûn dans la Bibliothèque de la Pléiade.

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Extrait de Ibn Khaldûn, Introduction au discours sur l’histoire universelle ou Muqqadima, deuxième section (traduction du baron de Slane, Paris, 1863)

La noblesse atteint son point culminant dans quatre générations. 

Le monde formé des quatre éléments et ce qu’il renferme sont sujets à la corruption tant dans leur essence que dans leurs accidents ; aussi les choses et les êtres des diverses classes, tels que les minéraux, les plantes et tous les animaux, y compris l’homme, changent et se corrompent à vue d’œil. Il en est de même à l’égard des phénomènes que le monde offre à notre observation. Cela se voit surtout chez l’homme : les sciences, ainsi que les arts et toutes les choses de cette nature, naissent pour disparaître. La noblesse et l’illustration, simples accidents de la vie humaine, subissent inévitablement le même sort. Parmi les hommes, on n’en trouve pas un seul dont la noblesse remonte, à travers une série non interrompue d’ancêtres, jusqu’à Adam. Exceptons toutefois notre saint Prophète, qui avait reçu cette distinction comme une marque d’honneur et afin que la véritable noblesse fût conservée dans le monde. L’état qui précède celui de la noblesse peut se désigner par le terme d’exclusion ; cela veut dire : être placé en dehors du commandement et des honneurs, et être privé d’égards et de considération. Nous entendons par là que l’existence de la noblesse et de l’illustration est précédée de sa non-existence, ainsi que cela a lieu pour tout ce qui a un commencement. La noblesse parvient à son terme en passant par quatre générations successives, ainsi que nous allons l’expliquer. L’homme qui a fondé la gloire de sa famille sait bien par quels moyens il y est parvenu ; aussi conserve-t-il toujours intactes les qualités qui lui ont procuré l’illustration et qui la maintiennent. Son fils, auquel il remet le pouvoir, a déjà appris de lui comment il doit se conduire ; mais il ne le sait pas d’une manière complète ; celui qui entend raconter un fait ne le comprend pas aussi bien que le témoin oculaire. Le petit-fils succède au commandement et se borne à marcher sur les traces de son prédécesseur et à le prendre pour modèle unique ; mais il ne fait pas les choses aussi bien que lui ; le simple imitateur reste toujours au-dessous de celui qui travaille sérieusement. L’arrière-petit-fils succède à son tour et s’arrête tout à fait dans la voie suivie par ses aïeux ; il ne conserve plus rien de ces nobles qualités qui avaient servi à fonder l’illustration de la famille ; il ose même les mépriser, et il s’imagine que ses aïeux s’étaient élevés à la gloire sans se donner la moindre peine et sans faire le moindre effort. Se figurant que, par le seul fait de leur naissance, ils avaient possédé la puissance de tout temps et de toute nécessité, il se laisse tromper par le respect qu’on lui témoigne, et ne veut pas concevoir que sa famille soit arrivée au pouvoir par son esprit de corps et par ses nobles qualités. Ne sachant pas quelle est l’origine de la grandeur de ses aïeux, il en méconnaît les véritables causes, et croit que le pouvoir leur était venu par droit de naissance ; aussi se met-il bien au-dessus des guerriers dont l’esprit de corps soutient encore la dynastie. Habitué, dès son enfance, à leur donner des ordres, il demeure convaincu de sa supériorité et il ne se doute pas que leur obéissance ait eu pour cause les grandes qualités au moyen desquelles ses prédécesseurs avaient dompté tous les esprits et gagné tous les cœurs. Ses troupes, indisposées par le peu de considération qu’il leur montre, commencent par lui manquer de respect ; ensuite elles lui témoignent du mépris ; puis elles le remplacent par un nouveau chef, pris dans une autre branche de la même famille. Elles montrent par-là que la famille dominante impose toujours par son esprit de corps, fait que nous avons déjà signalé ; mais l’individu qu’elles choisissent est celui dont le caractère leur convient le plus. Dès lors la branche favorisée de la famille prospère rapidement, pendant que l’autre se flétrit et perd tout son éclat. Cela arrive dans toutes les dynasties, dans les familles qui gouvernent des tribus, dans celles dont les chefs occupent de grands commandements et chez tous les peuples dont l’esprit de corps est bien prononcé. Quant aux familles établies dans les villes, elles tombent dans la décadence et leurs familles collatérales les remplacent. Si Dieu voulait, il vous ferait disparaître et amènerait [pour vous remplacer] une nouvelle génération ; pour lui, cela ne serait aucunement difficile [Coran, sourate IV, verset 132]. 

La thèse que la noblesse d’une famille demeure pendant quatre générations est généralement vraie ; quoique des maisons soient tombées en décadence et aient disparu avant d’avoir eu des rejetons du quatrième degré ; d’autres en ont du cinquième ou du sixième degré, mais elles sont déjà en décadence et sur le point de s’éteindre. On a posé la condition de quatre générations, parce que ce nombre comprend le fondateur, le conservateur, l’imitateur et le destructeur, et qu’en effet il ne saurait être moindre. Dans les éloges et les panégyriques, on trouve encore ce nombre de quatre, employé pour désigner le plus haut degré de la noblesse d’une famille : notre saint Prophète a dit : « Le noble, fils de noble, fils de noble, fils de noble, c’est Joseph, fils de Jacob, fils d’Isaac, fils d’Abraham ». Cette parole indique clairement que Joseph avait atteint au point le plus élevé de la noblesse. Dans le Pentateuque se trouve un passage qui signifie : « Moi, ton Seigneur, je suis puissant et jaloux ; je me venge des péchés des pères en punissant les enfants jusqu’à la troisième et la quatrième génération ». Cela démontre aussi que, dans la généalogie d’une famille, quatre générations suffisent pour en achever la noblesse et la considération. 

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Historien et archiviste paléographe, Yann Potin est chargé d’études documentaires aux Archives nationales et maître de conférences associé en histoire du droit à l’université de Paris XIII. Il est également le président de l’association Le Marque Page.



Le Banquet du livre pratique

LE COIN ENFANTS

Pour les 4-10 ans, tous les jours de 10 h à 13 h et de 17 h à 20 h dans la cour du palais abbatial. Gratuit sur inscription.

TARIFS & INSCRIPTIONS

  • Forfait intégral (non inclus : atelier d’écriture, banquet du Banquet) : 100 € (plein tarif), 80 € (tarif réduit), gratuit (tarif jeunes)
  • Concert d’ouverture – Rodolphe Burger (3 août) : 18 €, 15 €, 10 €
  • Forfait journée : 20 €, 16 €, gratuit
  • Séances à l’unité : 6 €, 4 €, gratuit
  • Le banquet du Banquet (repas-spectacle du 9 août) : 40 €
  • Atelier d’écriture : 15 €, 12 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Siestes sonores et promenade botanique : 7,5 €, 6 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Visites éclectiques de l’abbaye : 11 €, 9 €, gratuit (inscription obligatoire)
  • Qi Gong : 5 € (inscription obligatoire)
  • Atelier de philosophie, Figure libre, La criée, Grand petit déjeuner : gratuit, sans réservation dans la limite des places disponibles.

Tarif réduit pour les étudiant·e·s, les 18-25 ans, les PSH, les bénéficiaires des minimas sociaux, les adhérent·e·s du Marque-page.

Tarif jeunes pour les -18 ans

Pour plus de renseignements : le site du Centre culturel Les arts de lire.

SE RENDRE A LAGRASSE

  • Gares les plus proches : Lézignan-Corbières (18 km), Narbonne (40 lm), Carcassonne (40 km).
  • Aéroports : Carcassonne (40 km), Perpignan (70 km), Béziers (80 km), Toulouse (140 km), Montpellier (140 km).

SE LOGER A LAGRASSE

Renseignements à l’Office de tourisme : 04 68 43 11 56.

SE GARER A LAGRASSE

Parkings P1 et P2 obligatoires pour les visiteurs. Payants de 10 h à 18 h : 0,70 euros/heure, 4 euros/journée.