“Les feuilles mortes se ramassent à la pelle
Les souvenirs et les regrets aussi
et le vent du nord les emporte
dans la nuit froide de l’oubli”.
Jacques Prévert
Le séjour en Cada est un moment de rupture dans le parcours migratoire, une pause, une respiration. Il y a une forme de soulagement pour les familles de ne plus avoir à chercher un endroit où dormir le soir ni à se demander où elles vont manger. C’est un temps suspendu. Mais cette parenthèse est faite d’ennui et de lenteur.
Le poème de Jacques Prévert évoque un amour perdu et les regrets des amants que le temps a désunis. J’ai vu dans les feuilles mortes une métaphore du temps qui passe et qui fissure peu à peu les espoirs des demandeurs d’asile, comme ce sol craquelé par les années et les intempéries. Cette image dit l’attente qui s’immisce lentement dans les lieux et les personnes.
Pendant leur séjour, les demandeurs d’asile n’ont pas le droit de travailler, pas le droit de déménager, pas le droit d’apprendre à conduire. Ni chez eux, ni encore arrivés, ils sont dans l’impossibilité de se projeter, leur avenir étant suspendu à une décision administrative qui peut mettre plusieurs mois, voire plusieurs années à arriver. La procédure administrative est pesante et dépossède les migrants de leur destinée. Ils n’ont plus la main sur la suite de leur histoire. « On ne sait pas quand on arrive, on ne sait pas quand on repart », m’a confié Ahmed, 15 ans.
Le Cada est un petit bout d’ailleurs. Un territoire où le temps se dilate et l’espace se rétracte. Une tour de Babel où l’on se cache pour pleurer, où chacun garde son histoire mais où tous partagent cette même crainte de ne pas avoir les papiers et de devoir disparaître, encore, « dans la nuit froide de l’oubli ».
Texte et photo Sarah Leduc