À la table des libraires : des corps dans tous les sens

Nicolas Vivès (Ombres blanches) à la manière de Chloé Moglia

Aujourd’hui, nouvelle excursion cette fois-ci dans les rayons de la librairie Ombres blanches où nous accueille Nicolas Vivès. Du Japon à Haïti, en passant par la Californie, une traversée anatomique matière à penser la diversité des cultures sensorielles.

Premier arrêt au bloc opératoire avec une table intitulée « Docteur Maboul », jeu de société des années 1980 dont on garde surtout le souvenir du son strident – un poil pénible – venant sanctionner une manipulation maladroite de la pince chirurgicale. Derrière ce clin d’oeil, une table « pour s’amuser » certes mais pas sans queue ni tête, où Les mains sales de Jean-Paul Sartre côtoie La femme aux pieds nus de Scholastique Mukasonga, et Les seins de Camille Froideveaux-Metterie, Le Nez de Gogol. On vient piocher, en apprenti·e chirurgien·ne, dans un melting-pot de chevilles et de poignées, d’épaules et de fesses, du crâne jusqu’aux orteils.

Mais Nicolas Vivès nous guide rapidement vers la table des « 5 sens », présentée pour rappeler que « nos corps n’existeraient pas sans émotions ni sensations ».

L’ouvrage Nagori. La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter (Folio, 2020) de l’écrivaine franco-japonaise Ryōko Sekiguchi y est conseillé par la librairie. Pour Nicolas, « la double appartenance civilisationnelle de l’écrivaine transparaît dans sa littérature des goûts, des saveurs et des odeurs ». Elle offre aux lecteur·rices un décentrement sensorielle vers la culture japonaise à travers ses pérégrinations gustatives, du Japon jusqu’à l’Italie, en passant par la France. Avec Fade (Les atelier d’Argol, 2016), Ryōko Sekiguchi questionnait déjà l’interculturalité des sens. Ce que nous qualifions aisément de fade lui apparaissait comme une zone creuse du jugement occidental. Perçue péjorativement dans les assiettes européennes, la fadeur est valorisée dans la culture japonaise tant elle est associée à la subtilité des sens.

Pour poursuivre ce voyage dans les sensibilités japonaises, Nicolas nous porte jusqu’à Junichirô Tanizaki. Avec Éloge de l’ombre, Verdier proposait en 2011 une traduction de l’essai publié initialement en 1933. Un texte fondamental portant sur l’esthétique japonaise traditionnelle qui, depuis le milieu du XIXe siècle, « s’estompait à regret » sous l’influence occidentale. « Les maisons européennes, aux lumières crues, étaient construites de façon radicalement différente » poursuit Nicolas. Car au pays du soleil levant, « les intérieurs calfeutrés derrière les parois amovibles ne laissaient entrer qu’une lumière douce et diffuse ». S’il peut sembler anecdotique, ce choc lumineux a affecté les perceptions que les Japonais·es se faisaient de leurs foyers, de leurs objets, de leurs intimités.

Autre ouvrage exhausteur des sens : L’espace d’un cillement (Gallimard, 1959, réédité en 1983) de l’écrivain communiste Jacques Stephen Alexis. Il reste l’un des plus beaux romans d’amour que le libraire d’Ombres blanches ait pu lire. Prenant place à Port-au-Prince durant l’occupation américaine, il met en scène un coup de foudre terrassant comme un battement de cil entre La Niña Estrellita, une prostituée du Sensation bar où les soldats américains aiment à se délasser, et El Caucho, un mécanicien du port de la ville. Un récit à l’écriture chargée de langues créoles et métissés, et « entreprit par le prisme des 5 sens : la vue, l’odorat, l’ouïe, le goût et le toucher. »

Mais jusqu’où nous mènera la quête des sens ? En se penchant sur la table faisant étalage des livres de science-fiction cyborg et post-humanistes, on se questionne sur l’avénement de sensations encore inconnues par l’augmentation des corps. Sur ce point, Pierre Ducrozet livre en 2017 avec L’Invention des corps (Actes sud) une fiction prenant appui sur les tragiques événements d’Iguala en 2014, où quarante-trois étudiants furent assassinés par la police mexicaine. Meurtri mais rescapé du massacre, Alvaro passe alors la frontière américaine pour se retrouver cobaye des expérimentations transhumanistes pratiquées par un technoprophète de la Silicon Valley. D’un Docteur Maboul à l’autre donc.

Maxime Lagarde



Le Banquet du livre pratique

LE COIN ENFANTS

Pour les 3-10 ans, tous les jours de 10h à 13h et de 17h à 20h dans la cour du palais abbatial. Gratuit sur inscription, réservations à ce lien.

TARIFS & INSCRIPTIONS

  • Forfait intégral (non inclus : séminaire pré-Banquet, les hors forfait : 90€ (plein tarif), 60 € (tarif réduit), gratuit (tarif jeunes)
  • Forfait journée (selon le jour) : 12 €/19 €, 8 €/16 €, gratuit
  • Séances à l’unité : 7 €, 5 €, gratuit
  • Les hors-forfait : tarif unique pour chaque manifestation, détails sur abbaydelagrasse.fr
  • Spectacle d’ouverture Horizon (26 juillet), La Criée de la librairie (27 juillet – 1er août), Atelier cinéma et littérature (28 – 30 juillet), Lecture et présentation à la librairie du Banquet (28 – 31 juillet), Grand petit déjeuner/Atelier de philosophie/Texte en cours et exercice d’admiration (28 juillet – 1er août), Concert sous les étoiles Pour Britney (31 juillet), Soirée de clôture Pique-nique-boum (1er août) : Gratuit sans réservation dans la limite des places disponibles

Pour plus de renseignements : le site du Centre culturel Les arts de lire.

SE RENDRE A LAGRASSE

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  • Aéroports : Carcassonne (40 km), Perpignan (70 km), Béziers (80 km), Toulouse (140 km), Montpellier (140 km).

SE LOGER A LAGRASSE

Renseignements à l’Office de tourisme : 04 68 27 57 57.

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Parkings P1 et P2 obligatoires pour les visiteurs. Payants de 10 h à 18 h : 0,70 euros/heure, 4 euros/journée.