Pour cette première chronique « À la table des libraires » du Banquet d’été 2025, Aline Costella nous immerge dans la librairie Les arts de lire dont les tables thématisées pour l’occasion dressent, de la tête aux pieds, le portrait foisonnant d’une littérature des corps.
Pour ou contre le développement personnel ? La question est posée d’emblée sur la première table proposée par la libraire. L’essayiste Thierry Jobard trône en son centre avec une réponse sans détour exposée dans son livre Contre le développement personnel (Rue de l’échiquier, 2021). Une solide critique du phénomène qui, selon l’auteur, exacerbe l’individualisme et détourne les individus de l’engagement commun. Le développement personnel y est étudié comme la version galvaudée du « pouvoir d’agir » qui désignait initialement un processus sociopolitique et collectif d’émancipation.
Ce qui suit sur la table est cependant plus nuancé. De nombreux ouvrages sur le bien-être et l’affirmation individuelle donnent à repenser le soin de soi pour « mieux vivre avec les autres, et en société ». Mais comment faire face quand les corps sont l’objet de domination et de prédation.
Si l’on en croit le titre de l’album photographique de Marie Demunter, Les corps ont mieux à dire. Paru en 2024 aux éditions narbonnaises Lauma, « ce beau livre présente différentes parties de corps de femmes photographiées, agrémentée d’extraits de leurs journaux intimes et de leurs témoignages, en prose et en poésie. »
De même, une table intitulée « Corps féminins, corps social » met en lumière la version réactualisée d’un ouvrage de 1973 écrit par des femmes américaines. Véritable manuel de santé féministe, Notre corps, nous-mêmes (éditions Hors d’atteinte, 2020) apparaît ici entièrement réécrit par un nouveau collectif qui poursuit les mêmes objectifs : « proposer des outils permettant aux femmes de mieux se connaître et de se sentir plus sûres et plus fortes, ensemble ». Ensemble, car, pour reprendre un slogan de manifestation, « le féminisme sans la lutte des classes, c’est du développement personnel. »
Non loin du Consentement (Grasset, 2021) de Vanessa Springora présent dans cette sélection, Manon Garcia livre avec Vivre avec les hommes (Flammarion, 2025) son expérience du procès de Mazan. La révélation des crimes commis sur Gisèle Pelicot résonne en totalité avec les questions philosophiques qui interpellent Manon Garcia, déjà autrice d’un livre sur le consentement et les injustices de genre (Gallimard, 2021). Pour Aline Costella, ce livre impose une réflexion aux lecteur·rices : « Les femmes peuvent-elles vivre avec les hommes ? Comment construire une relation saine et de confiance entre les hommes et les femmes ? »
Pour finir ce premier tour de tables, un arrêt s’impose devant L’Astragale d’Albertine Sarrazin. Écrit en 1965, c’est « un écrit de détention bouleversant », un roman à la trame autobiographique dans lequel la protagoniste « s’évade de prison et se fracture l’astragale, un os du talon ». S’en suit une cavale douloureuse, faite d’amour et de déceptions. Mise en récit par l’une des premières écrivaines à avoir raconté sa vie de prostituée et de délinquante, L’Astragale est selon Aline « l’échappée belle d’une écorchée vive. »
Maxime Lagarde