En prolongement des 30 ans du Banquet, Le Marque Page propose une série de témoignages récoltés auprès des acteurs et actrices des précédentes éditions.
Ce mois d’août 98 j’arrivais pour la première fois à Lagrasse et découvrais le Banquet du livre, les éditions Verdier, Gérard Bobillier dit Bob, Colette, Michèle, Jean-Michel. Tout allait se passer dans le cloître de l’Abbaye. 24 heures de lecture, non-stop, du Don Quichotte dans la nouvelle traduction d’Aline Schulman.
Celle-ci, le 6 août 1998, ouvrira le livre à midi et lira le premier chapitre en espagnol ; elle fermera le livre le lendemain à midi lisant le dernier chapitre en français et dans la langue de Cervantes, devant une assemblée recueillie, heureuse, épuisée. Il y avait là tous ceux et celles qui avaient fait la traversée, qui s’étaient relayés de chapitre en chapitre, certains n’avaient pas quitté le cloître dormant dans des sacs de couchage.
Des haut-parleurs avaient été installés dans les rues du village, on pouvait entendre : « Apprends Sancho, Sais-tu Sancho… » au-delà de l’Orbieu !
Je faisais partie de la poignée de comédiens qu’avait réuni Philippe Morier-Genoud – oh gratitude ! – auxquels s’étaient joints une quarantaine de volontaires, et ce jour et cette nuit-là, nous nous sommes passé la flamme en racontant les aventures du Chevalier de la Mancha, selon l’ordre et minutage établi par Philippe.
Je retrouve mes deux volumes cornés annotés avec mes horaires de passage : ainsi le 7 août à 03h22 je lisais le chapitre XXV du deuxième tome devant quelques irréductibles… « Apprends Sancho ! »
Mon premier Banquet. Corbières Matin paraissait le matin, son intitulé cette année était « Dire la vérité » : on dévorait et commentait les articles au petit déjeuner dans la cour de l’école. Impossible de mettre la main sur mes Corbières matin de cette année-là ! Ils ont disparu comme le tee-shirt sur lequel était imprimé : « Je n’ai jamais tant bu que dans les livres. »
Mais je me souviens très bien d’avoir assisté à la conférence de Benny Lévy à laquelle je ne comprenais à peu près rien mais qui m’avait transportée.
Déplacée. Tout se mêlait et s’exaltait. Cervantes avait lâché la bonde, on passait allègrement de Jean-Claude Milner aux Frères Karamazov, de L’Invention du monde de Olivier Rolin à Anna Maria Ortese offerte par Bernard Simeone.
Il y eut d’autres Banquets des années plus tard et d’autres rencontres, d’autres lectures. Je garde précieux ces moments de retour au gîte en traversant l’Orbieu à échanger dans la nuit avec les uns les unes, à refaire le monde, à parler, parler de livres et encore de livres.
Anne Alvaro, comédienne,
présente aux Banquets du livre d’été 1998, 2017 et 2022